Vingt et quelques grammes (le poids de mon âme)

Mes affaires étaient prêtes et tenaient dans une petite valise. J’ai relu une dernière fois les résultats du labo, j’ai pris le chien, la bagnole et on est parti. J’avais ouvert la vitre côté passager pour que le clebs puisse sortir la tête dehors. J’ai fait comme lui jusqu’à ce que je n’y vois plus rien, tellement le vent me faisait pleurer les yeux. Je savais que j’étais en route pour ma dernière ballade et l’idée m’a traversé l’esprit de me remettre à fumer, et peut-être à boire aussi. Chienne de vie. – « Qu’est-ce que t’en penses Elwood ? Autant mourir en mauvaise santé non ?  » Adopté. Bien sûr le clebs ne m’a pas répondu, mais à le voir dodeliner de la tête je peux dire que ça n’avait pas l’air de lui déplaire. Alors j’ai dodeliné de la tête aussi, par mimétisme, pour jouer avec lui ; du coup il a remis ça de plus belle avec sa gueule souriante, puis il s’est mis à aboyer, à japper plus exactement, wouf! Il m’a posé ses deux pattes avant sur l’épaule pour me lécher l’oreille. –  » Haaa! Dégage! J’ai dit. Tu sens le coyote. » Ça l’a calmé un peu et il s’est remis le museau à la fenêtre. On avait pris la route de la côte, c’était la fin de matinée et le vent d’ouest faisait rentrer la houle dans la baie en contrebas. La mer roulait des épaules et dans certains virages on prenait des embruns sur le pare-brise et sur la tronche. On a roulé deux heures comme ça, puis le clebs m’a fait comprendre qu’il avait besoin de se dégourdir les jambes. J’avais envie d’une bière ou deux, d’une clope ou deux. On s’est garé sur la place du bled, c’était l’automne mais l’arrière saison drainait encore pas mal de monde et les terrasses de bistrot étaient quasi pleines.   J’ai demandé à Elwood de s’asseoir et de rester tranquille. J’ai commandé une pression et un paquet de cigarettes. J’ai souri à ma voisine de table qui m’offrait une contre-plongée sur sa poitrine en se baissant pour ramasser son jeu de clés. Elle a semblé hésiter en croisant mon regard puis m’a rendu mon sourire, son mari occupé à compter la monnaie rendue par le serveur. J’ai redemandé une bière et rallumé une clope. J’ai pensé à Michelle, ma femme, qui en rentrant du boulot devait avoir trouvé la feuille du labo et constaté mon départ. Sûrement qu’elle pleurait un peu, qu’elle encaissait le coup et maudissait les crabes. J’ai payé mes bières et mes clopes, j’ai fait grimper Elwood dans la bagnole et nous sommes repartis. Le ciel se couvrait maintenant et il n’allait pas tarder à pleuvoir. Les arbres frissonnaient et commençaient à regret à céder quelques feuilles au vent. J’avais mal aux tripes, mais pas assez cependant pour m’ôter le goût de la route. Je décidais de rester sur la départementale et de contourner la ville, j’avais encore quelques heures devant moi avant la nuit pour chercher un endroit où dormir. Peut être chez Marcus. J’avais eu de ses nouvelles récemment et ce n’était pas la joie. Il avait repiqué au truc après dix ans d’abstinence. « Trop seul » avait-il lâché à sa soeur que je voyais de temps en temps. Pas de femme, pas d’enfant, même pas un clebs ; de fait sa seule compagnie devait être le fantôme des beaux jours avec Suzanne, partie un matin d’avril après qu’il avait tenté de la dérouiller, persuadé qu’elle le trompait, avec moi. Ce qui n’était pas faux, mais aussi très éthylique. Nous étions tellement ivres elle et moi qu’on est supposé avoir baisé. On s’est réveillés nus au matin dans mon lit, nos fringues éparpillées dans toute la chambre, mais sans plus aucun souvenir de la veille, une migraine atroce et un black-out total. La vodka. Au petit matin, vite rhabillée, Suzanne est rentrée chez elle. Marcus l‘attendait, ivre mort, sur le pas de la porte et le ceinturon à la main. A l’époque nous étions amis et voisins, et de ma fenêtre j’ai assisté éberlué à la scène. Suzanne qui rentre chez elle sous la menace d’une boucle de ceinturon brandi au ciel, Marcus qui hurle et qui chancelle ; et à peine dix minutes plus tard, Suzanne qui s’enfuit de chez elle, en courant, un vanity à la main, poursuivie par Marcus, boitant bas et se tenant les couilles. Il ne l’avait jamais rattrapée et il aurait comme dernière image d’elle, avant de s’évanouir sous la douleur de sa jambe brisée, la voiture de Suzanne qui démarre en trombe, et les reflets dorés du soleil sur une alliance qui plane un instant avant de disparaître dans la poussière.
Je savais que je prenais un risque en me pointant chez lui, même après tant d’années. Mais après tout je lui devais bien ça. Au moins n’aurait-il pas à regretter de ne pas m’avoir pardonné, de ne pas être venu me voir ; ainsi nous nous serions revus et le soulager de ça allègerait ma conscience et m’aiderait à mourir en paix. Je pensais à tout ça quand une plume noire est venue s’accrocher au pare-brise ; pendant un bref instant j’ai frissonné, me demandant si mon coeur n’était pas irrémédiablement trop lourd pour la balance, si je n’avais pas perdu tout espoir d’atteindre les rives de la sérénité. Si, le moment venu, mon coeur n’allait pas être dévoré et mon âme perdue à tout jamais. Peut-être Marcus avait-il raison, j’étais son ami et j’avais foutu sa vie en l’air ; je devais payer. J’avais trahi, j’étais maudit, pourri jusqu’à la trogne et je méritais le plus profond des enfers. J’ai balayé ces pensées morbides d’un aller-retour d’essuie-glaces. Foutaises ! J’ai dit au chien, je vais mourir c’est déjà bien assez tu ne crois pas ? Ce qui se passe après c’est ce qu’on raconte avant, dans les églises et dans les livres, mais surtout dans la tête des vivants. C’est bien assez des peines d’une vie pour avoir à se soucier d’une présomption d’au-delà, fut-il menaçant. Ce sur quoi je me suis allumé une clope, aspirant la fumée bien au fond des poumons comme pour lever un peu plus haut mon poing brandi au ciel. La pluie et le jour se sont mis à tomber et j’ai tiré le chien par le collier pour le ramener à l’intérieur et fermer la vitre passager. Puis la pluie a redoublé de violence et ma conduite est devenue approximative, baladé par les rafales de vent je mordais le bas côté à chaque véhicule que je croisais. Je me suis traîné péniblement encore une demi-heure à quarante à l’heure, klaxonné par les types qui essayaient de me doubler comme par ceux qui arrivaient en face et me voyaient zigzaguer. Je me suis garé vite fait sur le premier parking, les mains crispées sur le volant, avec une douleur atroce aux tripes. J’ai soupiré dans le silence de l’habitacle comme après un atterrissage catastrophe, coupant le contact et détachant ma ceinture, des gouttes de sueur perlaient à mon front. J’ai jeté un oeil au passager. Elwood avait l’air de me dire de me calmer, que ce n’était pas si grave. Aussi je me suis trouvé bien prudent pour un type qui allait mourir. Le chien et moi avons attendu que ça se calme. J’ai mis la radio et un type nous a expliqué comment il avait réglé ses problèmes de succession en souscrivant à l’assurance Partir tranquille. Sur un autre canal une jeune fille expliquait que le pire n’était jamais sûr et qu’à condition de le vouloir vraiment, on pouvait décider de son avenir. Bien. J’ai coupé la radio et je me suis allumé une clope, j’ai pensé calmement à mon avenir et à ma succession. J’avais cinquante deux ans et les intestins en lambeaux – du papier à cigarette humide m’avait expliqué le toubib. Côté famille, un frère riche de ses affaires avec qui je n’avais plus de contacts depuis vingt ans, des parents morts et enterrés depuis longtemps et une fille qui achevait son adolescence en m’ignorant du silence des reproches, grimaçant chaque regard à mon adresse. Le fameux ordre des choses.
La pluie avait cessé maintenant et nous avions repris la route. Le chien et moi approchions de chez Marcus. Marcus à qui j’avais présenté Suzanne, sa femme. Marcus avec qui j’avais usé ma jeunesse, Marcus qui avait toujours su se taire, me cautionner, même quand il y avait beaucoup à dire, même quand j’avais bousillé sa bagnole en la plantant dans celle de Cathy Millet qui baisait sur la plage avec ce connard de basketteur. Marcus qui au nom de ma simple présence mettait son mouchoir sur n’importe quelle fille à lever, pourvu qu’on aille pêcher le bar, pourvu qu’on aille fumer et rêver le soir sur la digue ; n’importe quelle fille jusqu’à Suzanne. Nous devions avoir vingt deux ans lui et moi et je connaissais Suzanne des cours de soutien en anglais que je prenais à la fac avec elle. Il ne m’avait pas fallu une semaine pour que je l’invite à venir prendre un verre un soir après les cours. Suzanne plus que jolie, Suzanne débordante de vie ; cinq minutes passées à ses côtés vous transformaient la journée ; elle était ce genre de fille dont émane cette énergie contagieuse qui vous laisse voir que rien n’est grave ici bas, qu’on peut tout oser et que tout va toujours s’arranger. Marcus devait nous rejoindre et sans son arrivée, je crois bien que j’allais essayer d’embrasser Suzanne. Juste avant qu’il n’entre, elle venait de me proposer un ciné à la séance de vingt et une heure. Pour tout dire, je m’y voyais déjà. La porte à tambour s’est activée, Marcus est apparu, Suzanne a cessé de me regarder et j’ai immédiatement senti une baisse sensible de mon champ magnétique. Ce salaud son sourire et ses yeux bleus. -« Salut! » a-t-il lancé se dirigeant vers notre table tout en recoiffant sa tignasse brune. -« Salut Marcus, je te présente Suzanne » j’ai dit. Il s’est assis en face d’elle, et moins d’un quart d’heure plus tard je prétextais un rendez-vous chez le dentiste histoire de m’éclipser. Le soir même, je voyais Mission seul et ils passaient la première de leurs dix années de nuit ensemble. Le temps a passé et même si certaines choses avaient bien sûr changé, nous nous voyions souvent et étions toujours amis. Jusqu’à ce matin d’avril. J’avais bien tenté d’aller le voir à l’hôpital – il était dans un sale état, il avait giflé Suzanne, ce qui avait eu pour effet de la mettre dans une fureur telle qu’elle lui avait brisé net le tibia d’un coup de clé à molette avant de lui planter son escarpin dans les burnes – mais les infirmières avaient dû intervenir, tentant de le calmer et me priant de quitter l’hosto et de ne plus revenir, tant il proférait – il hurlait il hurlait – d’insultes à mon égard. C’était il y a dix ans et je ne l’avais plus revu depuis, pas plus que lui n’avait revu Suzanne. Peu de temps après le départ de sa femme, il avait vendu la maison pour venir s’installer loin de tout et les seules nouvelles que nous avions de lui venaient de sa soeur Anne, la seule personne qu’il acceptait encore de recevoir autrement qu’avec des insultes.   Nous y étions. Je me suis garé un peu après la maison de Marcus, j’ai expliqué à Elwood qu’il fallait m’attendre sagement, que je tâtais le terrain, et que si tout allait bien, je revenais le chercher. J’ai parcouru la dizaine de mètres qui me séparait de la maison, à demi courbé par une terrible douleur au ventre. La pluie recommençait à tomber. J’ai sonné puis j’ai attendu tout en inspirant et expirant profondément l’air humide de ce début de soirée. De la lumière est venue de l’entrée, puis le son de sa voix. – » Qu’est-ce que tu veux ? » Je me suis trouvé con qu’il m’ait vu arriver, ça m’a coupé la chique. -« Discuter » j’ai fini par dire, mais ça sonnait plus comme une question. « Ouvre-moi Marcus, c’est important. » Puis j’ai ajouté « c’est important pour toi et c’est important pour moi, je suis malade, je vais bientôt y passer. » -« C’est pas trop tôt » il a répondu. Puis la porte s’est ouverte, me laissant voir un type bouffi, chauve et voûté qui avait dû être Marcus, il y a longtemps. Je me suis demandé si je lui faisais le même effet, si des larmes lui venaient aux yeux juste en me regardant, si j’avais autant dépéri que lui. Je n’ai pas eu de réponse. Il a tourné les talons et m’a invité à entrer et m’asseoir. -« Tu veux une bière ? » il a dit. J’ai acquiescé. Au moins sa voix était restait telle qu’elle. Ca m’a rassuré, c’était bien lui. – « Alors ? Je t’écoute ? » m’a-t-il lancé en me tendant ma bière. J’ai pris une gorgée, une bonne inspiration et je me suis lancé. – » J’ai une saloperie incurable dans le bide. Il ne me reste plus beaucoup de temps et je voulais qu’on se revoit, ne serait-ce qu’une fois pour mettre les choses au point. C’était il y a tellement longtemps et peut-être, si tu le veux bien, peut-être pourrait-on en parler, peut-être que pour maintenant, tu pourrais me pardonner. Peut-être que ce n’est pas trop demander et que ma demande n’est pas excessive, irréaliste ou je ne sais quoi de ce genre. Toi comme moi avons plus de cinquante ans aujourd’hui, et nous sommes sensés y être arrivé, nous sommes sensés être adultes Marcus, tu vois de quoi je parle ? Assez adultes au moins pour pardonner histoire que la vie soit malgré tout supportable ; supportable Marcus, je veux dire pas faite en permanence de ressentiments violents et d’envies viscérales de tout casser et d’envoyer le monde au diable se faire voir ; on ne peut pas se foutre sous le premier train qui passe non plus juste à constater que rien n’est parfait. » J’ai fait une pause, bu une longue gorgée de bière. Marcus m’écoutait avec attention mais n’avait pas l’air de comprendre pourquoi je lui racontais tout ça. J’ai repris. – » Ca n’est arrivé qu’une fois Marcus, une seule petite fois. On était bourrés elle et moi, je peux même te dire que je ne me rappelle de rien. Je n’ai pas revu Suzanne, mais je suis certain qu’elle non plus ne se rappelle de rien. On avait descendu chacun une bouteille de vodka Marcus, t’imagines ?  » Il a tourné la tête comme s’il avait vu une ombre furtive lui passer à côté, puis il a pointé son index vers moi. -« Suzanne ? T’es en train de me dire que tu couchais avec Suzanne ? » J’ai tourné brièvement la tête vers l’endroit qu’il semblait fixer – mais manifestement il n’y avait rien ici et son esprit était ailleurs – puis je lui ai de nouveau fait face. -« Quoi ?  » J’ai dit, puis j’ai évité de bafouiller  » Heu non, je ne couchais pas avec Suzanne, j’ai couché une fois avec Suzanne, c’est différent. Et puis quoi, tu le savais non ?  » -« Non. » il a dit d’une voix blanche. -« Oh ?  » j’ai dit. -« Non. Je ne le savais pas. » – » Tu déconnes Marcus! T’as essayé de la dérouiller quand elle est rentrée au matin. Vous vous êtes battus et elle t’a pété la jambe avec la clé à molette. Tu t’en souviens quand même ? » – » Oui je m’en souviens. Mais on ne s’est pas battus pour ça. J’étais très con et je n’ai jamais pensé que Suzanne puisse me tromper. Et sans vouloir être désagréable, encore moins avec toi. J’ai voulu la dérouiller parce qu’elle m’avait promis de ne plus picoler. Suzanne était dépressive et alcolo et ça faisait deux ans qu’elle ne touchait plus à la bouteille. Elle commençait tout juste à s’en sortir quand c’est arrivé. Alors quand j’ai vu qu’elle ne rentrait pas, j’ai compris qu’elle avait remis ça. Ca m’a rendu fou, tant d’efforts et de souffrance pour rien, et c’est pour ça que j’ai voulu la dérouiller. Seulement pour ça  » il a ajouté. Il a posé les mains sur ses cuisses en soupirant bruyamment et de nouveau il a fixé l’ombre sur le sol à côté de lui. Il était livide. J’ai fini ma bière d’un trait et j’ai essayé de lui dire que j’étais désolé. – » Laisse tomber il a dit. C’est une trop vieille histoire et je t’ai pardonné depuis longtemps. Et d’ailleurs je me suis comporté comme un imbécile avec Suzanne. Ce n’est pas grave, de toutes façons plus rien n’est  » Il est resté la bouche ouverte et s’est effondré en tombant du fauteuil. Sa tête est venue lourdement cogner le carrelage. – » Marcus! j’ai gueulé. Il gisait face contre terre. Je me suis accroupi à côté de lui, j’ai cherché son pouls sans le trouver. J’ai encore gueulé son nom, par réflexe. J’ai sorti mon portable et tenté d’appeler les secours. Pas de réseau. Manquait plus que ça. J’ai fait le tour de la baraque à la recherche d’un téléphone, mais c’était perdu d’avance, Marcus vivait en ermite et je n’ai rien trouvé. – » Foutue cambrousse! » Je suis sorti en courant pour ramener la voiture devant sa porte. J’ai ouvert la portière et trois blocs de mousse jaunâtres sont tombés mollement sur la route. Elwood. J’avais oublié le clebs dans la bagnole. Il avait ravagé l’intérieur de la voiture. Il avait gratté et creusé les fauteuils et la banquette arrière jusqu’à l’armature, il y avait des morceaux de mousse partout, il avait bouffé le caoutchouc du volant et du levier de vitesse. Tout était détruit. Pire encore, il avait vomi sur le tableau de bord et sur les siéges tout ce qu’il avait bouffé, il s’était vidé sur ce qui restait de banquette arrière ; l’odeur était pestilentielle, insupportable et je me suis alors tourné vers la route, l’estomac dans la gorge, pour vomir à mon tour. Je me suis essuyé la bouche dans un grognement puis j’ai appelé le chien pour qu’il sorte de là, il était allongé à l’arrière, dans sa merde sans bouger. J’ai ouvert la portière arrière, me suis bouché le nez d’une main et de l’autre j’ai réussi à le tirer par le collier. Il s’est effondré sur la route dans un bruit sourd. J’ai encaissé le coup mais le choc était rude et j’ai bien failli m’effondrer à mon tour. – » Mon chien merde !  » j’ai juré. J’ai claqué la portière et suis repassé devant, j’ai tourné deux fois le démarreur, sans autre résultat qu’un cliquetis sinistre. Je me suis penché machinalement sous le volant pour constater qu’Elwood avait aussi bouffé le faisceau du démarreur et que les fils pendaient sous le volant. C’était foutu. Je suis retourné chez Marcus. J’ai su en entrant – l’odeur acide de la mort – que tout était fini. Marcus était froid et raide sur le carrelage, le visage bleui. Je suis resté un moment dehors sous l’orage, au bord de la route, à espérer le passage d’une voiture, en vain. Marcus habitait le fond d’un cul de sac et personne ne viendrait plus à cette heure. Alors je me suis décidé à rentrer. Je suis retourné à l’auto, j’ai pris mon chien dans mes bras, luttant pour soutenir son poids et son odeur. Sa grosse tête pendait et balançait au rythme de mes pas. Un morceau de mousse dépassait du coin de sa gueule Ce con s’était étouffé. J’ai déposé Elwood à côté de Marcus puis j’ai étalé une couverture sur leurs corps. Ils ne craignaient plus le froid mais c’était moins difficile comme ça pour moi. Encore un truc de vivant. Je me suis réfugié dans la cuisine, et me suis fait un café. J’ai attendu l’aube, prostré sur une chaise sans plus oser bouger. J’étais toujours en vie, plus seul que jamais et j’avais mal au bide à en crever. J’ai passé la nuit à regretter de ne pas être armé. Marcus m’ayant pardonné, j’avais le coeur moins lourd. J’étais certain maintenant que mon âme pourrait traverser le Fleuve et atteindre l’autre Rive, je pouvais bien mourir.

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11 Réponses to “Vingt et quelques grammes (le poids de mon âme)”

  1. Audine Says:

    C’est un texte qui m’apporte plein d’émotions.
    L’image du chien et du conducteur qui dodelinent de la tête en choeur.
    L’arrêt dans le village, je sais que c’est sur la côte, mais j’ai l’impression rétinienne que c’est une place de Florac, au petit matin, un petit matin de fin d’été.
    Je me souviens aussi, d’une histoire comme ça, d’amitié et d’amour léger, d’hurlement et de rancune.
    La fin de l’histoire est vraiment noire, une sorte d’apocalypse, on se demande si ça n’est pas un cauchemar, jusqu’au boutiste.
    J’éprouve une ambivalence de sentiments pour le héros, que je trouve agaçant, en même temps, savoir qu’on va mourir, ça ne doit pas être facile ?
    Mais c’est un homme plein de clichés non ? je trouve quand même.

    J’ai bien fait d’attendre un moment serein pour lire pleinement cette histoire.
    J’ai entrevu aussi, un petit texte mystérieux et qui va donc conserver tout son mystère (?), qui parlait de petits vieux qui hôchaient la tête qui disaient oui qui disaient non qui disaient je vous attends …

  2. Audine Says:

    ah oui, aussi, je suis portée à croire comme tout à fait vraie l’histoire de C. Millet ahahaha !!

  3. Amazone Says:

    J’ai pensé aux US, les prénoms sûrement, le ton fataliste aussi et pour finir le bouquet d’humeurs pestilentielles digne d’un J. Ellroy ! Bravo encore et surtout merci 😉

  4. pipobanjo Says:

    @Audine : J’accepte de bonne grâce que le héros soit ordinaire.
    Mais je décline toute responsabilité dans l’accident qui vit Catherine Millet éjectée nue de sa voiture cabossée.

    @Amazone : N’étant pas d’une nature vaniteuse, j’acept la comp

  5. pipobanjo Says:

    @Audine : J’accepte de bonne grâce que le héros soit ordinaire.
    Mais je décline toute responsabilité dans l’accident qui vit Catherine Millet éjectée nue de sa voiture cabossée.

    @Amazone : N’étant pas d’une nature vaniteuse, j’accepte la comparaison avec James Ellroy.
    Et j ‘ajoute ha ha!

    Merci de vos commentaires.

  6. Marc Says:

    J’ai moi aussi attendu d’avoir le temps pour lire le texte. J’ai bien aimé cette progression et ce voyage vers un ancien pote. C’est un beau texte sensible mais pas trop juste ce qu’il faut. Vous avez des images justes. Bravo. A bientôt pour d’autres histoires.

  7. pipobanjo Says:

    Merci Marc de vos commentaires.
    Je pense avoir lu une de vos nouvelles sur http://www.nousvelles.com (?) que j’ai aimé. (Montpellier – Reims ?).

  8. Marc Says:

    C’est effectivement moi. Vous connaissez Nouvelles.com? Vous pourriez parfaitement publier sur ce site. C’est simple. Le site est plus adapté pour les textes longs qu’un blog. Je serai curieux de savoir ce que vous pensez du site nouvelles.com, de la démarche? Vous semblez tourné vers l’écriture sans le souci des commentaires, des visites etc… J’ai même l’impression à voir votre écriture que nous aimons les mêmes écrivains. Je me trompe?

  9. pipobanjo Says:

    Si vous aimez Raymond Carver par exemple, vous ne vous trompez pas.
    Et oui, j’apprécie la démarche du site nousvelles.com. Ce n’est pas si courant de pouvoir être lu par autant de personnes. Je regrette simplement l’idée de devoir payer pour publier une nouvelle. Mais peut-être après tout est-ce là un moyen efficace de « filtrer » les publications?

  10. soleildebrousse Says:

    j’ai lu le texte, lentement. J’ai relu un peu certains passages suite à la lecture des commentaires.
    Personnellement, je le lis comme un texte noir… humour compris. Un peu excessif… un peu trash.. humain, sûrement un peu aussi.
    Si j’étais un homme, l’amitié passerait toujours avant. Mais …
    arg …

  11. pipobanjo Says:

    arg est le mot. ü.

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